jeudi 2 mai 2024
Putain de camion
Par l'épicier, jeudi 2 mai 2024 à 10:37 :: C'est arrivé près de chez nous
Nous reproduisons ici une lettre de la grande Marie, notre chère voisine, une de nos mascottes à une autre de nos mascottes adorées, Félix, fauché par un putain de camion le putain de 9 février 2024.
Cher Félix,
Le vendredi 9 février, tu es parti soudainement, brutalement, peu après notre traditionnel
café du matin à l'épicerie équitable, notre QG.
Ce matin là nous avons parlé de l’organisation du vernissage et de tout et de rien, comme
à notre habitude. Pour ma part, c’est un moment que je chérissais, toujours.
Puis Chloé nous a rejoints à la galerie, nous avons fait un point tous ensemble sur la
répartition des tâches de la journée et nous sommes partis chacun de notre côté, vaquer à
nos occupations, nous donnant rendez-vous au déjeuner. Mais tu n’as jamais honoré ce
dernier rendez-vous. Nous t’attendons encore ...
Tu as intégré l’équipe de la Galerie Tator en 2016 en tant que régisseur, où tu assurais les
montages & démontages des expositions. À cette époque, la Factatory n’existait que
depuis 2 ans et fonctionnait de manière rudimentaire, sans eau ni électricité, avec des
toilettes sèches. Petit à petit, tu t’es acclimaté à l’ambiance méridionale de ce 1er terrain
place Jean Macé, en y créant la 1ère régie comprenant tout le matériel électroportatif, au
sein d’une micro architecture fabriquée par tes soins, constituée de panneaux de bois
issus d’une ancienne sculpture du site à démonter. Tu as imaginé un système pour
collecter et irriguer les eaux de pluie. Puis, en concertation avec l’équipe et Philippe,
l’architecte, tu t’es mobilisé sur la transformation des 2 petits ateliers en un grand module.
Tu as fait un potager, planté des eurs, installé des ruches avec Laurent … Il commençait
à y faire bon vivre !
En 2018, nous avons appris que nous devions quitté les lieux. Comme nous tous, tu étais
dépité dans un premier temps, mais tu as su rebondir rapidement, c’est là que j’ai
découvert ta capacité inégalable de résilience.
Extrait de notre Whatsapp >
(…)
M: Quelle résilience ce Félix!
F: Je n’ai pas de dico mais j’imagine que c’est quand on travaille en bas résille!
(…)
Un nouveau site nous fut proposé, tout autre celui-ci : un parking nu, minéral et sans
charme au premier regard. Imaginatif comme tu savais l’être, tu as su te projeter
rapidement et avec l’énergie qui te caractérisait tant, tu t’es investi sans compter dans le
déménagement et l’installation de la nouvelle Factatory sur le site Jean Jaurès. Grâce à
ton inventivité et à l'économie de moyens qui t’était chère et qui résidait au coeur de ta
pratique de plasticien, tu as fabriqué une remorque à partir d’une caravane (« La Tator
Mobile »), tu as construit un module supplémentaire à partir de matériaux recyclés, en
mutualisant une cloison, mettant bout à bout 2 ateliers. Tu as été plus que force de
proposition pour penser et mettre sur pied un véritable pôle technique: une menuiserie
entre les 2 containers maritimes et une ressourcerie. Tu as aménagé un coin cuisine, tu as
fabriqué un bar extérieur pour nos évènements (massif et totalement indélogeable ;)), ainsi
qu'un coin sanitaire, pendant une période de con nement, comprenant une porte de
caravane et des panneaux de signalétique de la SNCF. Encore une sorte de folie
architecturale, à mi-chemin entre sculpture & architecture, à l’image de tes oeuvres
hybrides.
Récemment, grâce à de nouveaux nancements d’équipement, nous avons pensé
ensemble la création de l’atelier céramique et d’un pôle numérique. Avec l’aide deQuentin, tu as également su transformer une partie de ce terrain minéral en un parc
verdoyant où un véritable écosystème riche et varié orissait. Les chats, hérissons,
oiseaux, lucioles et autres insectes en tout genre s’y plaisaient....
Après 4 années sur ce site, nous avons appris que nous devions à nouveau déménager.
Ce fut bien sûr un moment de lassitude et de découragement pour nous tous… Mais
encore une fois, tu as su reprendre rapidement du poil de la bête. La SNCF ne souhaitant
plus mettre à notre disposition leur foncier, la ville de Lyon a ni par nous proposer une
maison et son jardin attenant, au pied du métro Stade de Gerland. Le terrain était deux
fois plus petit, très arboré mais possédait un avantage inédit, du bâti. Ta nature optimiste a
su voir le verre à moitié plein et nous nous sommes lancés dans des projections diverses
et variées, toujours en concertation avec l'architecte.
Depuis octobre 2023, tu te consacrais donc principalement au déménagement et à
l'emménagement de la nouvelle Factatory, la version 4.0. Tu as enchaîné les sessions de
travail, aux côtés de ta nouvelle équipe, que tu appréciais beaucoup, composée de Chloé
& Szymon, ainsi que de bénévoles ponctuels comme Stéphane, Julie, Lucille, Bernard,
Simon, Adeline, Quentin, mon Simon … Et tu te disais confiant pour la suite. Je te cite :
Extrait de notre Whatsapp >
« Le terrain est super! La nouvelle Facta va être magique! Le projet se dessine de plus en
plus. Je suis content et optimiste ! ».
En janvier, tu as même pris le temps de planter des eurs transplantées de l’ancien site,
des lavandes je crois … et tu nous as dit :
« Ça va être magique…hâte d’être au printemps quand la végétation reprend ! ».Lister tes innombrables qualités de manière exhaustive serait mission impossible. Tu étais
une « belle personne », comme beaucoup de gens, dont d’anciens résidents ou artistes
que tu avais assistés, en ont témoigné suite à ta disparition. Quand l'on te demandait ce
que tu faisais dans la vie ou de parler de ta pratique tu disais que tu étais « Artiste à tout
faire », « Sculpteur d’opportunité », « Dompteur de projet » et last but not least
« Directeur Tatorchnique », ton improbable signature numérique professionnelle. A cela
j’ajouterais « Architecte empirique ».
« Empirique », cet adjectif que tu affectionnais tant, que tu employais à tort et à travers et
qui provoquait nos fous rires !
Parce que tu étais tout cela à la fois, il va nous être dif cile de combler l’incommensurable
vide que tu laisses derrière toi. De là où je suis, je t’entends et te vois me répondre, l’oeil
rieur : « Ça va bien se passer ! ».
Marie, ta « collègue ».